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Les bienfaits de la biographie hospitalière

Géraldine Genthon exerce le métier de biographe hospitalière à Grenoble. Cette activité se situe au croisement entre le soin, la parole et l’écrit. Née il y a presque vingt ans, elle est en cours de développement et se pratique dans les hôpitaux et les EHPAD ou les Unités de Soins Palliatifs (USP).

Très investie dans son activité, Géraldine Genthon nous livre son expérience à travers cet entretien, évoquant les vertus thérapeutiques pour les patients en fin de vie et les bienfaits pour les proches et les soignants.



 

Géraldine Genthon, qu’est-ce qui vous a amenée à exercer
cette activité ?

 

« J’ai travaillé dans le milieu du soin pendant quinze ans en tant qu’ergothérapeute puis j’ai engagé une reconversion professionnelle. Férue de littérature, je me suis passionnée pour cette activité qui permet d’allier le travail d’écriture et l’aspect humain. J’ai ainsi suivi une formation au métier de biographe, puis de biographe hospitalière avec l’association "Passeur de mots et d’histoires" avec Valéria Milewski. J’ai aussi été bénévole pour l’association JALMALV (Jusqu’à la mort, accompagner la vie), qui propose de l’écoute active auprès des personnes hospitalisées ou dans les EHPAD.
 

Où intervenez-vous ?
 

« Je suis intervenue en 2024 au CHU. Le fait de travailler avec une équipe, au-delà de m’être précieux, est indispensable. La biographie hospitalière apporte un complément aux patients, elle ne se substitue à rien d’autre mais vient répondre à certains besoins comme celui de se raconter et de transmettre. Mon activité permet de réaliser tout cela. Ce qui me frustrait dans mon ancien métier, c’était de ne pas pouvoir prendre le temps. Ici, dans un service de soins palliatifs, on ne se situe plus dans une approche biomédicale mais davantage dans une approche holistique. Le soin s’envisage d’une façon assez plus globale et l’écoute en fait partie intégrante ». 

 

Comment se déroule la réalisation de la biographie hospitalière ?
 

« Il peut y avoir une seule rencontre ou plusieurs rendez-vous. Tout est variable parce qu’on ne maîtrise pas la fin de vie, on fait avec ce qui se présente, une "leçon" d’humilité en quelque sorte. Ce n’est pas un projet éditorial, c’est le projet de la personne. Le but c’est de pouvoir offrir un espace aux personnes qui ont besoin de se raconter dans cette période-là, de transmettre quelque chose, de déposer un dernier message, d'ouvrir un espace. L’objectif premier est d’accompagner les douleurs psychiques qui vont être révélées dans cette période de fin de vie, de crise existentielle : quel a été le sens de ma vie ? Qu’est-ce que j’ai fait ? A quoi ai-je contribué ? Au final, cela prend souvent la forme d’un moment à soi de réflexion et d’introspection. 

 

Dans un tout premier temps, le livre est un prétexte, il n’est pas l’urgence. Elle se situe davantage au chevet de la personne pour qu’elle puisse se raconter, évoquer ce qui fait, et aura fait sens dans son existence, revisiter ses souvenirs comme une invitation pour ré-agencer sa vie, à ce moment-là, précis de son existence. La question des destinataires est importante, elle permet d’orienter et de construire le récit, il s’agit souvent des enfants, d’un conjoint, ou de proches ». 

 

Quels sont les sujets abordés par les patients ?

 

« Concernant ce qui est partagé, tout est possible. Les personnes racontent leurs souvenirs, lesquels se reconfigurent tout le temps. Ce que j’observe, de façon assez récurrente, c’est l’importance de la place laissée aux souvenirs de la petite enfance. Les représentants de cette génération ont en général peu l’habitude de se raconter. Aujourd’hui, il y a, me semble-t-il, davantage de place pour s’ouvrir à l’aspect émotionnel des choses : face à un trauma, on va essayer de voir comment on peut en parler. A l’époque on ne parlait pas des abus. La société actuelle ne porte pas ça de la même manière : j’ai le sentiment qu’avant, une personne qui avait subi des abus, quels qu’ils soient, était davantage invitée à se taire. Aujourd’hui, la parole se délie. Je pense que ça n’est pas anodin ; en effet, certaines personnes n’ont jamais eu cet espace pour parler d’elles. Quelques-unes vont l’investir pleinement, naturellement et d’autres ne vont pas être à l’aise. La question pour moi est de voir comment les aider à se raconter, à leur rythme et selon leurs besoins, sans jamais rien forcer. » 

 

Pourriez-vous nous décrire les bienfaits de la biographie hospitalière pour les patients ?

 

« Pour en avoir régulièrement discuté avec les soignants de l’équipe, il ressort que cet accompagnement peut atténuer certains symptômes de souffrance psychique et contribuer à la création d’un cercle vertueux, d’un mieux-être global. Pour un temps, ils ne sont plus objets de soin. Les différents membres de l’équipe constatent par eux-mêmes que les symptômes douloureux peuvent parfois diminuer. Et si la personne arrive à avoir un espace dans la journée pour lequel elle ressent de la gratitude parce qu’elle a eu un bel échange, cela apporte du mieux-être dans sa journée. Donc les bénéfices sont là, dans le fait d’apporter une parenthèse vivante, vivifiante qui vient répondre à un besoin de se questionner. Cela peut concerner des thèmes comme : "quelle a été ma vie ? qui suis-je finalement ?". C’est potentiellement aussi l’occasion d’une belle rencontre avec soi-même. 

 

L’idée est d’intervenir auprès de la personne à un instant T et d’ouvrir un espace pour être autre chose qu’un patient. Constater que cet accompagnement peut permettre d’offrir un espace où la personne perd, pour un instant, la notion du temps, c’est enthousiasmant. Ça lui permet de traverser sa journée qui, peut-être, aurait pu être vécue différemment ! Aussi, une dame qui a voulu écrire à l’attention de ses fils m’a avoué, au moment où je quittais sa chambre : "ce que je vous ai raconté, je ne l’ai jamais dit à personne, je me sens beaucoup plus légère maintenant. J’ai confiance en vous pour écrire tout ça !" Ça pour moi c’est un cadeau. »
 

Et concernant les proches, quels en sont les effets ?
 

« Il y a un impact à la manière d’une tâche d’huile. On intervient auprès d’un patient qui est pris en charge dans un environnement de soin et fait partie d’une famille. Aussi, cela rejaillit potentiellement sur dix à trente bénéficiaires ». 

 

Les soignants tirent-ils eux aussi un avantage de cette pratique ?

 

« On travaille de manière collégiale, collective. L’adn de l’association Passeur de mots et d’histoires, c’est d’intervenir dans un service et de co-construire quelque chose. » 

 

Comment est constitué le livre de la biographie ?

 

« Il présente l’avantage de garder les récits en mémoire. L’idée est de créer un bel objet, comprenant du texte et parfois, selon les envies des personnes accompagnées, la possibilité d’y ajouter des photos Pour cela, je travaille en partenariat avec un relieur d’art sur Grenoble (L’Atelier de Reliure). A notre époque où l’on dématérialise tout, il est conçu pour passer entre les mains, ce n’est pas banal. Je rédige toujours une préface de deux ou trois pages où j’évoque la rencontre, comment j’ai perçu la personne à ce moment-là. Cela permet de préciser le contexte : souvent, la personne biographiée n’a pas le temps d’évoquer tous ses souvenirs. L’idée c’est de prendre soin, aussi, des destinataires, qu’ils ne se sentent pas oubliés. Et je laisse toujours des pages blanches à la fin pour qu’il n’y ait pas de point final. C’est très important. 

La biographie d'une personne est réussie quand, en la lisant, on se dit Ah, c'est elle !
»

 

Que vous apporte personnellement le fait d’exercer cette activité ?

« C’est un métier qui a du sens, je me sens à ma place. Et quand on est à sa place, ça nous tire vers le haut. Rencontrer une équipe de soin, les patients, la famille etc., c’est vraiment un aspect très heureux de la biographie hospitalière. Mon rapport avec la mort est assez naturel, ça ne me rend pas triste. Lors des échanges, il y a tant de vie, même de rires parfois, il y a des moments très joyeux ! Cela fait partie de la vie. Je me suis aperçu que ce qui compte c’est chaque jour, car je ne sais pas si la semaine suivante la personne sera toujours là. Effectivement, ces gens nous ramènent à une forme d’humilité et de présence au monde : demain, je ne sais pas ce qui va se passer. On est tous potentiellement en fin de vie. »

 

Quel est votre point de vue sur l’activité de biographe hospitalier ?

 

« C’est un métier magnifique, riche de sens et d’humanité ! Il vient éclairer, je pense, un sujet à la fois tabou et plein de croyances. Puisse-t-il contribuer à nous questionner sur nos représentations. La biographie hospitalière permet à mon sens de considérer jusqu’au bout une personne dans ce qu’elle est. Une forme de dignité, ce quelque chose d’inaltérable en chacun de nous : même alitée avec des escarres et des difficultés d’élocution, la personne reste respectable et belle dans ce qu’elle est. Notre société contemporaine valorise la productivité et l’efficacité. Ici, à cet endroit des soins palliatifs, les équipes font "tout ce qui reste à faire quand il n’y a plus rien à faire" (Thérèse Vanier, médecin anglaise).

 

Les "soins supports" dont fait partie la biographie hospitalière, permettent de donner "un éventail". Ce n’est pas une méthode passive, ils peuvent rendre les gens capacitaires, c’est ce qui est fabuleux : du fond de sa vie, on peut mener un projet. »

 

> Pour en savoir plus


Vous pouvez visiter le site de l'association Passeur de mots et d'histoires.

 

Vous pouvez aussi contacter Géraldine Genthon.