Un projet mêlant photographies et poésie pour créer des portraits colorés de personnes âgées et leur entourage
L'aboutissement de ce projet consiste en des portraits photographiques et écrits des personnes vivant ou travaillant au sein de l’EHPAD de la Résidence mutualiste Pique-Pierre1. C'est le résultat de neuf mois de rencontres, de partages d’anecdotes de vie touchantes et de témoignages avec deux artistes. Il célèbre la vie de ces personnes âgées et présente une image plus positive d’un EHPAD que celle véhiculée par les médias. Il a aussi donné lieu à un beau livre aux tonalités joyeuses et à une exposition qui s'est tenue à l’Hôtel de Ville de Saint-Martin-Le-Vinoux du 12 septembre au 8 octobre 2024.
1 à Saint-Martin-Le-Vinoux.
Le photographe Jean-Sébastien Faure et l’écrivain Ernest B. Dauzat sont ainsi venus faire connaissance avec les résidents, leurs familles et les soignants de l’établissement. De ces rencontres tout au long de l’année 2024, sont nés des portraits attachants, vibrant d’une belle humanité. Les deux artistes ont été choisis pour leur sensibilité et leur implication. Mus par le désir d’entrer en connexion avec ces personnes, ils ont parfois été déstabilisés lors de ce « voyage en terre inconnue ». Il leur a fallu parfois inventer d’autres moyens de communiquer, passer outre un premier abord parfois difficile par rapport à l’état de santé physique ou mental de certains résidents. Mais les coups de cœur et les partages d’anecdotes de vie authentiques, touchantes ou savoureuses en valaient largement l’effort !
Ce projet repose sur des rencontres et des découvertes régulières qui ont permis d’installer un climat de confiance, nécessaire pour ces partages très personnels, toujours dans le respect de ce que chacun était prêt à livrer. Il dresse un témoignage à un instant T de la vie dans cet EHPAD qui est à l’image d’un village avec ses 80 résidents, et au moins autant de membres de la famille, amis et le personnel. Il nous présente ses côtés difficiles, comme le deuil de la vie d’avant, mais aussi ses instants de grâce ou même de franche gaieté lors d’une séance de manucure ou de danse improvisée…
Le photographe est allé rencontrer les personnes avec les textes « en poche » pour prendre ses clichés. Il a su capter les étincelles de magie du quotidien, les rires, de même que les temps plus modestes, néanmoins touchants, de la vie de tous les jours. D’autres fois, c’est une photographie qui a inspiré l’écrivain. Ils ont œuvré ensemble, forts de leur complicité acquise lors de collaborations antérieures. Les résidents, leur entourage et les soignants ont aussi mis « la main à la pâte », co-écrivant les textes avec le poète pour certains d’entre eux, et le résultat final est emprunt de cette émulation commune. Le tout est teinté de tendresse, d’humour et porté par une poésie qui donne un éclat particulier aux récits et gratifie le lecteur.
Chaque portrait invite à entrer dans un univers singulier, nous emmenant dans des lieux variés comme l’Espagne, l’Italie, l’Algérie, Angoulême ou des contrées plus régionales... Les souvenirs évoqués embarquent dans des tranches de vie succulentes ou émouvantes. Ces partages de moments de vie marquants sont pure délectation pour qui aime les belles histoires. Telle Huguette C. se remémorant le mariage de son oncle Ulysse quand elle avait 8 ans. Ou encore, Michel F. et Jean A. qui ont « baigné dans la musique » et s’en souviennent avec émotion. Le premier a côtoyé des célébrités, créé un trio de guitaristes et un spectacle de cabaret… Et le deuxième jouait de la trompette et formait un duo avec sa femme à la batterie. Il animait avec son fils les bals du samedi soir. Selon ses paroles imagées, « les spectateurs, ça compte beaucoup : quelquefois ce sont des météores et d’autres fois des diesels… ». D’autres encore partagent ce qui les anime aujourd’hui ou dans leur vie passée, ce qui crée le sel de leur vie. Que ce soit la broderie, la cuisine, le sport, la couture, la danse, les animaux, les fleurs, les balades en nature… Autant d’activités et passions qui, peut-être, font le secret de leur longévité ?
Parmi les autres raisons d’apprécier l’existence et d’être fier de sa vie passée mentionnées dans ces textes, les activités professionnelles sont également évoquées. On y retrouve un animateur de club de vacances, une professeure de lettres, une employée de bureau dans un garage, une vendeuse dans une épicerie, une cheffe d’entreprise dans une société de nettoyage qui « dirigeait des hommes », une ouvrière dans une ganterie qui fournissait des gants à la famille royale anglaise !
Et bien sûr, ce qui revient souvent pour les résidents comme pour leurs familles ou amis, c’est l’importance des liens affectifs, que ce soient les liens familiaux ou amicaux. Les résidents font part des visites très attendues et appréciées de leurs proches. Jocelyne P. raconte comment elle rend visite à son amie Marie-Antoinette L. deux ou trois fois par semaine. Les histoires de cœur sont aussi évoquées, en témoignent les souvenirs de l’histoire d’amour d’Odette P. qui a rencontré celui qui est devenu son mari par le biais des petites annonces d’un magazine. Celui-ci a reconnu ses deux filles et ensemble, ils ont donné naissance à un petit garçon. On y parle aussi des relations amoureuses actuelles, comme celle de Thérèse S. qui a « tissé des liens privilégiés avec un “amoureux »1.
Les soignants, une équipe extraordinaire, chaleureuse et dynamique d’après Noémie Petit, chargée de l’organisation de ce projet, ont eu leur mot à dire eux aussi dans ces partages de ressentis ou d’expériences. Et on peut ainsi lire que Pierre B., auxiliaire de vie, a trouvé sa vocation dans ce lieu qui expose des tableaux réalisés par son grand-père, ancien résident de l’EHPAD. Il confie : « ici [...], je suis bien. [...] Je n’ai pas le temps d’être triste. Le plus important, c’est la vie : célébrer la vie des gens… jusqu’à la fin ». Quant à Nora M., aide-soignante, elle partage qu’elle n’a pas connu ses grands-parents, et est heureuse quand un résident lui répond par un sourire. Et Boris J., kinésithérapeute, observe qu’« une relation plus affective peut se développer avec certains patients ».
Ce projet a favorisé les rencontres entre les résidents, autant qu’il a renforcé le lien intergénérationnel entre les résidents et les soignants. Par l’intérêt que les artistes leur ont témoigné, les résidents se sont sentis reconnus pour ce qu’ils étaient, plutôt que d’être considérés comme des patients comme c’est souvent le cas au quotidien puisque, pour la plupart d’entre eux, leur état de santé est compliqué. Aussi, cela a nourri leur estime d’eux-mêmes. Et du côté des soignants, l’expérience s’est également révélée bénéfique : ils ont pu mieux apprécier leur travail et accéder à une dimension des résidents autre que celle du soin.
L’exposition et le livre montrent un autre visage de l’EHPAD que celui véhiculé par les médias, plus positif même s’il n’occulte pas les aspects plus problématiques. Le projet met l’accent sur la dimension de convivialité déployée au sein de l’établissement. Il donne ainsi la parole à des personnes qui sont souvent invisibles dans notre société. Au final, c’est un peu le portrait d’une génération et d’une époque sous ses multiples facettes que dessinent ces témoignages. Et les artistes ont trouvé ce projet tellement enthousiasmant qu’ils souhaiteraient en mener des semblables dans d’autres résidences de la Mutualité Française Isère… Alors à suivre !
Nous remercions chaleureusement Noémie Petit, psychologue et chargée de la coordination des projets d'animation à la Résidence Mutualiste Pique-Pierre, pour son interview sur l'exposition.
1 selon les paroles de Patricia R., sa fille
Nb : Le livre est en vente pour la somme de 20 € à la Résidence Mutualiste Pique-Pierre.
...
Crédit photographique pour les deux photographies présentées : © jean-sebastien faure